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jeudi 18 avril 2019

"Rouge, art et utopie au pays des Soviets " une exposition bien décevante


Une explosion artistique portée par la Révolution russe

 
Monument à la IIIème Internationale de Tatline (Wikipédia)

Une lectrice nous a transmis son appréciation de l’exposition « Rouge, art et utopie au pays des Soviets » qui s’est ouverte dernièrement au Grand palais et que nous avons vue également. Une appréciation que nous partageons largement. C’est donc bien volontiers que nous la publions aujourd’hui.

« "Rouge, art et utopie au pays des Soviets " au Grand Palais est une expo réactionnaire, voire négationniste : il n'y a pas eu de révolution russe, ni une avant-garde extraordinaire, mais "un coup d'état bolchevik "...  Pour l'avant-garde, elle se résume à une maquette de Tatline, une affiche de Maïakovski … ! En matière d'utopie, l'expo réduit le projet constructiviste à un banal utilitarisme.  Très peu de contextualisation POLITIQUE, pas d’analyse des étapes de la normalisation dans les différentes branches artistiques qui n'ont pas toutes été frappées en même temps. A l'étage s'étale en grands formats la célébration du Petit Père des Peuples. Iconographie du culte de la personnalité, on remplace mentalement la tête de Staline par celle de Poutine.
 Le commissaire de l’exposition, Nicolas LIUCCI-GOUTNIKOV déclare au Figaro (25/03/2019) : « L’exposition de Londres était celle du centenaire de la révolution d’octobre 1917 et se concentrait sur les chefs-d’œuvre des avant-gardes russes, de Kandinsky à Chagall et Malévitch. J’ai voulu dépasser cette stricte période et montrer les formes artistiques très particulières qu’a engendrées le projet communiste. »
Et de présenter « le réalisme socialiste » comme un choix libre (?) d’une nouvelle esthétique diamétralement opposée à celle de l’avant-garde, sans rapport avec l’élimination des révolutionnaires de 1917 par Staline ! Ainsi cette expo CACHE, OCCULTE, DISSIMULE que l'imposition du réalisme socialiste s'est faite sur la persécution, et même sur l'élimination PHYSIQUE des artistes d'avant-garde dès la fin des années vingt. 
Ce n’est pas la première fois qu’une exposition sur un courant artistique est présentée en dehors de tout contexte historique et de toute référence à la lutte de classes, ce fut le cas de l’exposition sur le surréalisme à Beaubourg (2013/2014), les surréalistes y étaient montrés comme d’inventifs bricoleurs s’amusant, hors du temps historique. C’était entre 1917 et 1933, et les discussions étaient vives autour des positions de Trotsky ! »

jeudi 21 février 2019

Léon Trotsky, Netflix et le gouvernement russe unis dans la calomnie anti-Trotsky

Léon Trotsky au milieu d'un groupe de membres de l'Opposition de Gauche


Netflix et le gouvernement russe unis dans la calomnie anti-Trotsky

Esteban Volkov, petit-fils de Trotsky, et le Centre d’Etudes, de Recherches et de Publications-CEIP León Trotsky d’Argentine et du Mexique s’élèvent, aux côtés de dizaines de personnalités, pour réfuter les calomnies portées contre le révolutionnaire russe dans la série « Trotsky », retransmise par Netflix.
Netflix, entreprise étatsunienne, propose la série Trotsky, réalisée par Alexander Kott et Konstantin Statsky. Rossiya 1, la chaîne la plus regardée en Russie, l’avait sortie en novembre 2017. Pour le centenaire de la Révolution russe, Vladimir Poutine, président de la Fédération de Russie et contrôlant, par conséquent, Rossiya 1, avait choisi Trotsky comme sujet principal de cette superproduction en huit épisodes.
Compte-tenu du passé stalinien de Poutine, à la tête du KGB, et du fait qu’il ne cache pas sa nostalgie à l’égard de la Grande-Russie tsariste, on ne pouvait attendre qu’une telle série présente de façon honnête et objective la personnalité et l’œuvre de celui qui, avec Lénine, a été le plus important dirigeant de la Révolution d’Octobre. En ressortant les vieilles calomnies anti-Trotsky, quel est l’objectif de Poutine ? Pourquoi falsifier le passé et les révolutionnaires, alors que le pays a avancé dans la restauration capitaliste et que rien ne semble s’opposer à la nouvelle bourgeoisie russe ni à Poutine, au pouvoir depuis dix-huit ans ? Pourquoi Netflix, dont l’audimat se compte en millions d’abonnés, a choisi de retransmettre cette série ?

Voici quelques-unes des falsifications qu’elle véhicule :

1.      D’après les réalisateurs, il ne s’agit pas d’un documentaire, même s’ils affirment s’être inspirés de faits réels pour écrire Trotsky. Cependant, la série a recours aux mêmes falsifications qu’utilisaient les impérialistes, le tsarisme ou le stalinisme pour calomnier Trotsky et ses partisans alors qu’avançait la bureaucratisation de l’URSS. Toutes ces calomnies ont été réfutées par la Commission Dewey réunie spécialement à Mexico, en 1937, et constituée de personnalités indépendantes.

2.    A l’encontre de la vérité historique et de la vision que pouvaient avoir de lui, à l’époque, ses proches mais y compris des personnes ne lui étant pas favorables, Trotsky est dépeint comme une personnalité égocentrique, messianique, autoritaire, inhumaine, envieuse, autant de caractéristiques qui seraient liées à ses origines juives, sans cesse rappelées dans la série. Au cours de sa vieillesse, il souffre d’hallucinations, étant rongé par le remord des crimes qu’il aurait commis pendant la révolution.

3.    Jacson (Ramón Mercader) est présenté comme un stalinien honnête, doté d’esprit critique et de sensibilité, et qui établit un rapport réel avec Trotsky dans l’idée d’écrire sa biographie, ce à quoi ce dernier accède, dans la série. En réalité, Trotsky ignorait tout des liens de Jacson avec le stalinisme. Leurs rapports n’ont jamais été que très brefs, toujours sur demande de Mercader qui, en tant qu’agent du NKVD, avait été chargé par Staline d’assassiner Trotsky.

4.    Au cours des deux révolutions russes la série montre des ouvriers, des paysans, des soldats, le peuple russe, manipulés par des dirigeants ambitieux tels que Lénine ou Trotsky et qui prennent des décisions en leur nom. En 1905, les soviets sont présentés comme de simples théâtres pour y faire entendre leurs discours. La lutte de classes n’existe pas. Tout est affaire d’affrontement et de vengeance entre individus. Mais la révolution de 1917 n’a pas seulement été l’un des mouvements de masses les plus importants et radicaux de l’histoire contre le tsarisme, mais également contre le gouvernement bourgeois provisoire et face à la contre-révolution de Kornilov. Elle a restauré le pouvoir des soviets, qui ont vu la participation centrale des exploité.es et des opprimé.es, dirigés par le Parti Bolchévique. La série, à l’inverse, présente la révolution comme une lutte mesquine pour le pouvoir, et les révolutionnaires comme des psychopathes manipulateurs.

5.     La série ment également sur les rapports de Trotsky aux femmes. Une grande bolchévique comme sa première épouse, Alexandra, est dépeinte comme une femme au foyer que Trotsky aurait abandonné avec ses deux filles. Natalia, sa seconde épouse, conquiert Trotsky grâce à sa beauté. Après leur mariage, elle se transforme, tour à tour, en sa secrétaire personnelle et, elle aussi, en femme au foyer, absorbée par l’éducation de ses enfants dont Trotsky ne s’occupe aucunement et qu’il utilise y compris comme bouclier humain lors d’une tentative d’assassinat qui aurait eu lieu pendant la révolution. Alors que la série occulte le rôle du stalinisme dans la mort de ses quatre enfants, leur disparition serait l’une des fautes qui poursuivent Trotsky jusqu’à son propre assassinat. Larissa Reisner est présentée comme une femme fatale, accompagnant (sexuellement, surtout) Trotsky dans le train blindé et faisant office de secrétaire particulier. La réalité est tout autre. Alexandra Sokolovskaïa était la dirigeante du premier cercle marxiste auquel Trotsky adhéra alors qu’il avait seize ans. Tous deux furent déportés en Sibérie avec leurs deux filles. C’est Sokolovskaïa qui aida Trotsky à s’évader, choisissant, elle, de rester en Russie. Natalia Sedova appartint au commissariat soviétique à l’Education après la révolution. Les enfants soutinrent toujours le militantisme de leurs parents, notamment Léon Sédov, l’un des principaux collaborateurs de Trotsky et l’un des principaux organisateurs de l’Opposition de Gauche russe dans la clandestinité. Larissa Reisner, elle, écrivit à propos de la guerre civile, mais pas à partir du train blindé. Elle joua un rôle important au sein de la Cinquième armée, tout comme au cours de la révolution. Elle s’embarqua avec la flotte de la Volga, prit part aux combats et participa à la révolution allemande. Ce fut l’une des principales militantes bolchéviques jusqu’à sa mort, en 1926.

6.    La relation entre Trotsky et Lénine, avant la révolution, est présentée comme une lutte entre égos faite d’accords de circonstances, au point où Lénine tente de faire chuter Trotsky d’un balcon. Staline, dans la série, est présenté quant à lui comme le secrétaire de Lénine. Au moment de l’insurrection d’Octobre, Lénine, caché, ne refait son apparition que lorsque Trotsky se demande où il se trouve, et après la victoire de la révolution. La série occulte le fait que Lénine menait un combat au sein du Comité Central du Parti bolchévique à propos du lancement nécessaire et immédiat de l’insurrection, de même que son accord avec Trotsky au sujet du fait qu’il s’agirait-là du début de la dictature du prolétariat. On songera au fait que, historiquement, à la suite de la prise du pouvoir et en attendant l’ouverture du Congrès des soviets, c’est côte-à-côte que Lénine et Trotsky règlent les derniers détails. Pour ce qui est de la véritable vision de Lénine au sujet de Staline, il suffit de lire son « Testament », ainsi que ses critiques au sujet des méthodes « chauvinistes grand-russes », à propos de la question géorgienne.

7.     Au cours des négociations de Brest-Litovsk avec l’Empire allemand, Trotsky, dans la série, donne l’ordre de distribuer des tracts subversifs afin de provoquer une révolte contre le Kaiser, ce qui aurait échoué et justifié l’offensive allemande. Les principaux opposants à la signature du traité sont, toujours dans la série, les anciens généraux tsaristes et non, comme cela a été véritablement le cas, les Socialistes Révolutionnaires. Jacson accuse Trotsky de ne pas avoir défendu la Russie avec les Cosaques. La série oublie que c’est le Congrès des Soviets qui avait approuvé le décret sur la paix pour mettre fin à la guerre, l’une des grandes revendications des masses ; et que face à l’absence de réponse des alliés la Russie soviétique dut engager des négociations avec l’Allemagne où la social-démocratie appuyait le bellicisme de son propre impérialisme. Lénine autant que Trotsky voyaient les négociations de Brest-Litovsk comme une tribune en faveur de la révolution mondiale, notamment de la révolution en Allemagne.

8.    Lorsqu’on lui demande de construire l’Armée rouge, Trotsky est présenté, depuis le train blindé, comme une sorte de rock-star, à mi-chemin entre le sex-symbol et l’assassin qui approuve même un massacre de civils au cours d’un enterrement. En 1918, selon la série, une révolte se prépare à Kronstadt. La révolte, en tant que telle, éclata en 1921. Dans la série, cependant, Trotsky invente des accusations et présente de faux témoins pour faire appliquer la peine de mort contre son dirigeant. Pour ce qui est de la guerre civile, la série ne fait mention que de l’offensive tchèque sans parler des quatorze armées impérialistes et des armées blanches pro-tsaristes contre lesquelles l’Armée rouge dut combattre sur l’immensité du territoire soviétique. Aucune mention, non plus, des années de blocus économique impérialiste, ou du fait que la flotte ennemie a pu n’être qu’à 30 km de Petrograd. Pour ce qui est de Kronstadt il faut prendre en compte que la composition de la garnison, lors de la révolte, était absolument distincte de celle de 1917, lorsque ses marins avaient été l’avant-garde de la révolution. L’une des confirmations du caractère contre-révolutionnaire de la révolte était le fait qu’elle avait été annoncée, deux semaines à l’avance, dans la presse internationale et les gazettes d’exilés russes. Trotsky signalera également la réaction haussière des marchés lorsque fut faite l’annonce du soulèvement de Kronstadt.  

9.    A aucun moment la série ne fait mention de la fondation de la III° Internationale. Trotsky déclare cependant que son objectif est de conquérir le monde. Pour la série, toujours, l’histoire de la révolution s’achève avec la mort de Lénine. L’Opposition de Gauche, la contre-révolution stalinienne, les procès de Moscou, rien de cela n’existe, pas plus que l’arbitraire carcéral, les tortures, les déportations en camps de concentration et les assassinats que subirent la quasi-totalité des dirigeants bolchéviques de la révolution et toutes celles et tous ceux qui étaient soupçonnés de défendre une ligne oppositionnelle vis-à-vis du régime bureaucratique. Renversant l’histoire, tous les crimes sont attribués à Trotsky, y compris l’exécution des Romanov. Il s’agit d’un énième mensonge puisque ni Lénine ni Trotsky ne donnèrent cet ordre.

10.                       Ce n’est qu’au dernier épisode qu’apparaît la véritable identité de Jacson. Trotsky, malade, demande à Jacson d’entrer chez lui alors qu’un télégramme en provenance de l’ambassade du Canada l’informe de son identité. Trotsky frappe alors Jacson-Mercader, qui lui répond en saisissant un piolet qui est pendu au mur de la chambre où se trouvent les deux hommes. La série suggère par conséquent que c’est le révolutionnaire russe qui aurait tout fait pour que le soi-disant journaliste l’attaque. La manière dont l’attentat est présenté est donc une nouvelle falsification. En effet, on sait que Staline souhaitait faire assassiner Trotsky avant le début de la Seconde Guerre mondiale dans la mesure où il savait qu’un conflit aurait pu engendrer une révolution politique en URSS. C’est pour cette raison et en fonction de la perspective de la révolution sociale dans les pays capitalistes que Trotsky et ses partisans fondèrent la IV° Internationale. On songera au fait que lors d’une entrevue, en août 1939, entre Hitler et l’ambassadeur français à Berlin, Coulondre, le Führer avait déclaré qu’en cas de guerre, « le vrai gagnant [serait] Trotsky ». C’est le nom que les bourgeoisies impérialistes avaient donné au spectre de la révolution. La série, par conséquent, est la justification de l’assassinat du soi-disant monstre appelé Trotsky.

11.   

Les signataires de ce texte rejettent ces falsifications de l’histoire qui tentent d’enterrer l’évènement le plus important du point de vue de la lutte pour l’émancipation des classes laborieuses de l’exploitation et de l’oppression capitalistes, de même qu’elles cherchent à occulter le legs de ses principaux dirigeants.

Esteban Volkov, petit-fils de Trotsky
Centre d’Etudes, de Recherches et de Publications-CEIP León Trotsky (Argentine-Mexique)

Bien évidemment, Nathalie Arthaud, porte-parole nationale de Lutte ouvrière, Arlette Laguiller, Armonia Bordes et Chantal Cauquil, anciennes euro-députées, ont signé ce texte pour Lutte Ouvrière

lundi 6 mars 2017

1917-France : la colère contre la guerre


France – 1917 : la colère contre la guerre 

En 1917, après trois années d’une guerre horrible, le mécontentement montait dans tous les pays, sur les fronts comme à l’arrière. En France, des mutineries eurent lieu sur le front. Mais à l’arrière aussi des grèves commencèrent à éclater.

En France, comme dans tous les pays belligérants, les industries avaient accru considérablement leurs activités, et ce d’autant plus que l’État finançait les nouvelles installations des Citroën, Renault, Schneider et autres fournisseurs indispensables des armées. Le nombre d’ouvriers s’en trouva également grossi, tout particulièrement dans les usines liées à l’armement et aux besoins des troupes, comme la métallurgie ou le secteur de l’habillement. Des ouvrières y avaient été embauchées massivement, ainsi que des travailleurs coloniaux ou étrangers, que les patrons avaient fait venir de tous les continents, y compris de Chine, avec le concours du gouvernement.

En août 1914, la classe ouvrière avait été désarmée politiquement par la trahison des dirigeants de la CGT et des socialistes de la SFIO qui, comme leurs homologues de toute l’Europe, s’étaient ralliés à la guerre. Une discipline de caserne pesait également de tout son poids sur le pays. Si nombre d’ouvriers avaient finalement été mobilisés dans les usines sur le « front de la production » en raison de la pénurie de main-d’œuvre qualifiée, ils pouvaient à tout moment être renvoyés vers les tranchées, et donc vers la mort, pour fait de grève, ou être traduits devant un conseil de guerre.

Le gouvernement, le patronat et la presse ne manquaient donc pas d’opposer dans leur propagande l’arrière – non pas les bourgeois, mais les ouvriers présentés comme des embusqués – et les combattants, les poilus qui, eux, risquaient leur vie à tout instant.

Mais, à partir de 1917, en même temps que l’agitation et le mécontentement s’étendaient peu à peu dans les unités du front, la classe ouvrière commença à redresser la tête. On dénombra cette année-là 293 000 grévistes et 696 grèves, contre 41 000 grévistes et 315 grèves l’année précédente.

Ces grèves éclatèrent dès le mois de janvier, puis entre mai et juillet, séparées par un 1er mai qui, pour la première fois depuis le déclenchement de la guerre, revêtit une certaine ampleur. Les femmes, dont les salaires étaient inférieurs d’un tiers à ceux des hommes, furent aux avant-postes de ce combat.

En raison de la flambée des prix, les bas salaires étaient à l’origine de la plupart de ces mouvements. Ainsi, le lait était passé de 30 à 50 centimes le litre, la douzaine de choux de trois à six francs en quelques mois. Dans le même temps, l’État instaura des journées sans viande, le pain et le sucre furent rationnés. Il n’était pas rare non plus dans les familles ouvrières de subir quotidiennement des coupures de gaz et d’électricité.

Les travailleurs mirent aussi à l’ordre du jour la semaine anglaise sur cinq jours, que la CGT avait placée en tête de ses revendications lors de son congrès de 1912. Les premières grèves ouvertement politiques éclatèrent enfin. Ainsi, le 1er mai 1917, à Vienne dans l’Isère, à l’appel de la CGT, une assemblée de 700 ouvrières et ouvriers prit position contre la guerre et vota une motion de soutien à la révolution russe, qui avait éclaté en février. En pleine guerre, et en raison du contrôle de plus en plus serré de l’État sur la production et l’alimentation, tout mouvement revendicatif prenait nécessairement un caractère politique.

La répression fut à la hauteur de ce premier assaut ouvrier et de la peur qu’il inspira au gouvernement. Ainsi, des troupes furent positionnées aux portes de Paris pour prévenir tout mouvement d’ampleur. Puis des centaines de militants ouvriers furent arrêtés et déférés devant les conseils de guerre, d’autres furent expédiés au front ou enfermés dans un camp.

C’est à ce prix que la bourgeoisie française réussit à faire refluer les mouvements de grève, tandis que sur le front les généraux faisaient fusiller pour l’exemple des dizaines de mutins. Mais ce n’était encore qu’une première manifestation, en France, d’une révolte qui montait dans toute l’Europe.

                                                        Pierre DELAGE (Lutte ouvrière n°2535)





jeudi 23 février 2017

Révolution russe de 1917 au fil des semaines dans l'hebdomadaire Lutte ouvrière. 1.


La révolution russe de 1917 au fil des semaines
Dans les semaines qui viennent, Lutte ouvrière continuera de publier des articles sur les événements qui ébranlèrent la Russie et le monde il y a cent ans, en s’appuyant largement sur des témoignages et des écrits des révolutionnaires de l’époque.


23 février (8 mars) 1917 : le début de la révolution russe

Le 23 février 1917 (8 mars selon le calendrier occidental), commençait à Petrograd, la capitale de la Russie tsariste, aujourd’hui Saint-Pétersbourg, la révolution qui allait ébranler le monde pour des décennies. Alors que les dirigeants des puissances européennes obligeaient leurs peuples à s’entre-tuer depuis trois ans dans les tranchées de la guerre mondiale, la classe ouvrière de Petrograd, après cinq jours de grèves et de combats de rue, fit tomber le tsar Nicolas II et son régime installé depuis des siècles.

« Le 23 février, c’était la Journée internationale des femmes, écrit Trotsky dans l’Histoire de la révolution russe. On projetait, dans les cercles de la social-démocratie, de donner à ce jour sa signification par les moyens d’usage courant : réunions, discours, tracts. La veille encore, il ne serait venu à la pensée de personne que cette Journée des femmes pût inaugurer la révolution. Pas une organisation ne préconisa de grève ce jour-là. Bien plus, une organisation bolcheviste, et des plus combatives, le comité de Vyborg, déconseillait la grève. »

Un mouvement parti des ouvrières du textile

Mais, le 23 février, « les ouvrières des usines textiles quittèrent le travail dans plusieurs fabriques et envoyèrent des déléguées aux métallos pour leur demander de soutenir la grève. C’est à contrecœur (…) que les bolcheviks marchèrent, suivis par les ouvriers mencheviks et socialistes-révolutionnaires. Mais, du moment qu’il s’agissait d’une grève de masse, il fallait engager tout le monde à descendre dans la rue et prendre la tête du mouvement. »

Il y eut ce jour-là 90 000 grévistes, des manifestations, des meetings dans les quartiers ouvriers. « Une foule de femmes, qui n’étaient pas toutes des ouvrières, se dirigea vers la Douma municipale [le conseil municipal] pour réclamer du pain. Autant demander du lait à un bouc. » écrit Trotsky.

Le lendemain, « les travailleurs se présentent dès le matin dans leurs usines et, au lieu de se mettre au travail, ouvrent des meetings, après quoi ils se dirigent vers le centre de la ville. De nouveaux quartiers, de nouveaux groupes de la population sont entraînés dans le mouvement. (…) Le mot d’ordre « Du pain » est écarté ou couvert par d’autres formules : « À bas l’autocratie ! » et « À bas la guerre ! » » Au mécontentement des ouvriers contre la guerre et ses privations, s’ajoutait leur aspiration à se débarrasser du régime tsariste haï.

« Le 25, la grève prit une nouvelle ampleur. D’après les données officielles, elle englobait 240 000 ouvriers. Des éléments arriérés s’engagent à la suite de l’avant-garde, un bon nombre de petites entreprises arrêtent le travail, les tramways ne marchent plus, les maisons de commerce restent fermées.(…) On essaie d’organiser des meetings à ciel ouvert, il se produit des conflits avec la police. »(...)

« La police montée ouvre la fusillade. Un orateur tombe blessé. Des coups de feu partent de la foule : un commissaire de police est tué, un maître de police blessé ainsi que plusieurs de ses agents. On lance sur les gendarmes des bouteilles, des pétards, des grenades. La guerre a donné de bonnes leçons dans cet art. » (...)

« Durant toute cette journée, les foules populaires ne firent que circuler de quartier en quartier, violemment pourchassées par la police, contenues et refoulées par la cavalerie et par certains détachements d’infanterie. (…) La foule témoignait à la police une haine féroce. (…) Toute différente fut la prise de contact des ouvriers avec les soldats. Autour des casernes, auprès des sentinelles, des patrouilles et des cordons de barrage, des travailleurs et des travailleuses s’assemblaient, échangeant des paroles amicales avec la troupe. C’était une nouvelle étape due à la croissance de la grève et à la confrontation des ouvriers avec l’armée. »

Les soldats basculent du côté des insurgés

La guerre avait changé l’état d’esprit des soldats. Sous l’uniforme, les paysans côtoyaient les ouvriers. Ils s’étaient politisés et partageaient le même rejet de la guerre et la même haine des officiers. Même des troupes spécialisées dans la répression, comme les Cosaques, « en avaient assez et voulaient rentrer dans leurs foyers », écrit Trotsky.

Un peu partout dans la ville, les contacts entre ouvriers et soldats se multiplient. « Ainsi, dans les rues, sur les places, devant les ponts, aux portes des casernes, se déroula une lutte incessante, tantôt dramatique, tantôt imperceptible, mais toujours acharnée, pour la conquête du soldat. (…) Dans ces rencontres les travailleuses jouent un rôle important. Plus hardiment que les hommes, elles s’avancent vers les rangs de la troupe, s’agrippent aux fusils, supplient et commandent presque : “Enlevez vos baïonnettes, joignez-vous à nous !” Les soldats s’émeuvent, se sentent tout penauds, s’entre-regardent avec anxiété, hésitent encore ; l’un d’eux, enfin, se décide avant les autres et les baïonnettes se relèvent, (...) la révolution fait un pas de plus. »

Trotsky raconte encore comment l’ouvrier bolchevik Kaïourov s’adressa aux Cosaques : « Frères Cosaques, venez au secours des ouvriers dans leur lutte pour de pacifiques revendications ! Vous voyez comment nous traitent, nous, ouvriers affamés, ces pharaons [la police montée]. Aidez-nous ! (…) Les Cosaques échangèrent entre eux des coups d’œil singuliers, dit encore Kaïourov, et nous n’avions pas eu le temps de nous éloigner qu’ils se jetaient en plein dans la mêlée. Quelques minutes plus tard, devant le perron de la gare, la foule portait en triomphe un Cosaque qui venait de sabrer un commissaire de police. »

La chute du régime

Le matin du 27, « les ouvriers affluent vers les usines et, dans leurs assemblées générales, décident de continuer la lutte. (…) Continuer la lutte signifie, ce jour-là, faire appel à l’insurrection armée. » En réalité, écrit Trotsky, « leur tâche, pour les neuf dixièmes, était déjà accomplie. La poussée révolutionnaire des ouvriers du côté des casernes coïncida avec le mouvement révolutionnaire des soldats ». Les uns après les autres, les régiments de la garnison de Petrograd basculent du côté de la révolution, chaque régiment mutiné cherchant à en convaincre d’autres pour s’assurer qu’aucun retour en arrière ne sera possible.

« Dans la journée du 27, la foule délivra, sans coup férir, les détenus politiques de nombreux lieux de détention de la capitale. » Le 27 au soir, la capitale était sous le contrôle des insurgés. Avec quelques jours de décalage, Moscou puis les villes de province tombèrent et le tsar abdiqua.

Qui a le pouvoir ?

« L’insurrection avait vaincu. Mais à qui transmit-elle le pouvoir arraché à la monarchie ? », se demande Trotsky.

Dès que la chute du tsar parut inévitable, quelques députés de la Douma (l’Assemblée nationale concédée par le tsar en 1905) se précipitèrent pour former un gouvernement provisoire. Mais le vrai pouvoir était ailleurs. Dès le soir du 27, à l’initiative des dirigeants des partis socialistes et de syndicalistes, se tenait la première réunion du Soviet [le Conseil en russe] de députés ouvriers et soldats regroupant 250 délégués venus des usines ou des régiments insurgés.

« L’expérience des soviets de 1905 s’était gravée pour toujours dans la conscience ouvrière. À chaque montée du mouvement, même au cours de la guerre, l’idée de constituer des soviets renaissait presque automatiquement, écrit Trotsky. À dater du moment où il s’est constitué, le Soviet, par le truchement de son comité exécutif, commence à agir en tant que pouvoir gouvernemental. (…) Pour enlever aux fonctionnaires de l’ancien régime la faculté de disposer des ressources financières, le Soviet décide d’occuper immédiatement la Banque d’Empire, la Trésorerie, la Monnaie (...). Les tâches et les fonctions du Soviet s’accroissent constamment sous la pression des masses. (...) Les ouvriers, les soldats et bientôt les paysans ne s’adresseront plus désormais qu’au Soviet, qui devient, à leurs yeux, le point de concentration de tous les espoirs et de tous les pouvoirs, l’incarnation même de la révolution. »

En ces journées de février, la détermination de la classe ouvrière avait abattu le tsar. Mais ce n’était encore que la première étape de la révolution russe.