Berger-Martinez
: république bourgeoise ou lutte de classe ?
20 Avril 2022
Laurent Berger pour la CFDT et
Philippe Martinez pour la CGT ont co-signé une tribune dans Le Journal du
Dimanche pour alerter contre le risque d’arrivée au pouvoir du
Rassemblement national avec l’argument qu’il « ne peut pas être considéré
comme les partis républicains, respectueux et garants de notre devise, liberté,
égalité, fraternité ».
Les responsables de deux
principaux syndicats ont bien sûr raison de dénoncer les dangers du RN, de
rappeler « qu’il n’a pas changé », qu’il reste « raciste,
antisémite, homophobe, et sexiste » et prône « le rejet de
l’autre et le repli sur soi ». Pour toutes ces raisons, aucun
travailleur conscient ne peut voter pour Marine Le Pen et aussi parce que
malgré sa démagogie en direction des classes populaires, elle gouvernera, si
elle est élue, au service des riches et de la bourgeoisie.
Mais, en opposant le RN « aux
partis républicains », en les présentant comme les garants des « droits
fondamentaux » et « des libertés démocratiques de la société
civile organisée », les chefs syndicalistes trompent les travailleurs
sur la vraie nature des politiciens traditionnels de la bourgeoisie, dont
Macron fait partie. Ils cautionnent ces politiciens, tout comme le font
d’ailleurs dans leurs appels un certain nombre d’intellectuels ou de
personnalités en vue.
Dans l’état actuel de la
situation économique, pour ne pas rajouter de l’instabilité politique en
portant au pouvoir une nouvelle équipe non éprouvée, la bourgeoisie française
choisit plutôt Macron. En écrivant qu’on peut « confier les clés de
notre démocratie » à tous les partis bourgeois sauf au RN, Berger et
Martinez, non seulement appellent de fait à voter Macron, mais ils lui
apportent eux aussi leur caution et un soutien politique. En plus de se couper
des travailleurs qui ont de bonnes raisons de haïr Macron, ils obscurcissent la
conscience de tous les travailleurs.
Il est vrai que l’arrivée de Le
Pen au pouvoir pourrait encourager, y compris au sein de la police, de l’armée
ou de la justice, les individus les plus réactionnaires, hostiles aux
syndicats, aux militants, aux progressistes, et les plus racistes. Mais cette
extrême droite institutionnelle sévit déjà sans que Macron ou son ministre de
l’Intérieur s’en émeuvent. L’affaire Michel Zecler, ce producteur noir tabassé
dans son studio, ou les multiples contrôles au faciès de la police dans les
quartiers populaires l’illustrent. Ce n’est pas Le Pen mais Macron qui a
dispersé les Gilets jaunes à coups de flashball, avant que sa justice ne les
condamne lourdement. Les lois sécuritaires déjà votées par les partis tout à
fait « républicains », permettent à n’importe quel
gouvernement de dissoudre quasiment n’importe quelle organisation ou
association. En 1968, c’est le général républicain De Gaulle qui a dissous les
organisations politiques d’extrême gauche. Demain, si des chefs policiers ou
des officiers de l’armée exigent la dissolution de tel ou tel groupe, sous
prétexte de « lutter contre le terrorisme » ou parce qu’il ne
respecte pas « l’unité nationale » ou « les valeurs de
la république », Macron obtempérera.
Le problème n’est pas seulement
le vote du 24 avril, dans un système politique absurde qui n’offre aucun choix
réel aux travailleurs au second tour. Sommés d’opter pour la peste ou pour le
choléra, que peuvent-ils bien faire ? Le problème est surtout d’indiquer
clairement quels sont leurs ennemis politiques. Or il n’y a pas à repeindre en
rose l’appareil d’État et les institutions, si « républicaines »
soient-elles. Ce sont des instruments destinés à faciliter l’exploitation des
travailleurs, à les dissuader de se révolter et à les réprimer, le cas échéant.
De la part de dirigeants ouvriers ou présumés tels, il devrait au moins être
clair que les travailleurs ne peuvent compter sur aucun parti de gouvernement
pour défendre leurs intérêts tant économiques que politiques.
Xavier LACHAU (Lutte ouvrière
n°2803)