En Iran,
au 27 novembre, 74ème jour de la révolte.
Ce mouvement social qui a démarré
le 26 septembre, est déjà exceptionnel par sa durée de deux mois et demi et
aucun signe, pour autant qu’on puisse en juger d’ici et en étant complètement
extérieurs, ne montre qu’il va s’arrêter. Il donne au contraire l’impression
que la population, a décidé que cette fois, il fallait aller jusqu’au bout et
que la lutte à mort contre le régime est engagée. La répression à grande
échelle ne fait plus reculer mais au contraire provoquent de nouvelles
manifestations, de nouveaux affrontements avec la police et avec quel courage
et quelle détermination ! C’est ce dont témoignent de nombreuses pancartes
disant : « C’est l’année du sacrifice, nous allons récupérer
l’Iran ».
La peur
change de camp ?
Maintenant, le grand jeu semble
être, dans la rue, de faire sauter, d’un coup preste et en arrivant par
derrière, le turban des mollahs ; bedonnants comme ils sont, ils ont bien
du mal à courir derrière les jeunes… Une autre vidéo montre une femme dans le
métro, s’en prenant violemment à un mollah qui la tançait sur sa tenue, sous
les applaudissements de tout le monde. Autant de scènes qui montrent le pas qui
a été franchi en trois mois… Et les mollahs de se plaindre : « des
jeunes m’ont insulté, des jeunes m’ont agressé... » Mais comme le dit une
Iranienne : avant, c’étaient les femmes qui avaient peur de sortir dehors,
il est temps que ce soit eux…
Le mouvement est suffisamment
fort pour que artistes, sportifs, gens connus se déclarent solidaires ;
ainsi l’actrice la plus célèbre du pays a posté une vidéo où elle ôte son voile
en prévenant que ce serait sans doute son dernier message, et de fait, elle a
été arrêtée le lendemain. Et il y a bien sûr l’équipe de foot qui n’a pas
chanté l’hymne national au Qatar.
Malgré la répression, on sent une
allégresse à faire sauter les interdits qui pourrissent la vie des femmes, des
jeunes et finalement de tout le monde comme on le voit quand des étudiants
détruisent le mur qui sépare la cantine des filles de celle des garçons. Sous
les applaudissements, on brûle les portraits du guide suprême, le 23 novembre,
c’est un séminaire de mollahs qui est incendié, le 26 novembre, c’est la maison
natale du guide suprême.
Des
manifestations qui se transforment en affrontements avec les forces de
répression
Il est impossible de compter les
manifestations, il y en a partout dans toutes les villes, ensemble, ou à tour
de rôle, mais quasiment tous les jours. Dans les grandes villes, comme à
Téhéran, c’est par quartier. Par exemple, le 24 novembre, pas moins de treize
quartiers de la périphérie de Téhéran sont descendus dans la rue, comme
Moshirieh, un grand quartier populaire du sud de la ville. Les slogans sont
essentiellement : « mort au dictateur », « à bas tout le
système », « nous n’avons pas donné de morts pour des compromis et
nous courber devant un assassin de guide », « à bas le gouvernement
tueur d’enfants » car les milices ont tué au moins cinquante enfants… ou
plus simplement : « ordures ! »
Les Bassidjis (milices dépendant
des Gardiens de la Révolution) foncent sur les manifestants, en isolent pour
les tabasser à mort dans une rue isolée, essaient de leur rouler dessus, les
pourchassent jusque dans les immeubles… et bien sûr en arrêtent par fourgons
entiers. Il y aurait ainsi plus de 15000 détenus.
Mais les manifestants ripostent
et se battent, même le dos au mur avec seulement des pierres mais parfois des
cocktails Molotov. Ainsi dans une ville, ils ont attaqué une base de la milice
du Bassidj, dans deux autres dont Téhéran, ils ont mis le feu à des bases des
pasdarans, dans une troisième, c’est un poste de police qui a été
attaqué ; chaque fois, c’est sous les encouragements de la foule.
Le cérémonies funéraires se
transforment en manifestations monstres comme celle pour les 40 jours après la
mort de Mahsa Amini, celle pour le tabassage à mort d’un jeune de 32 ans, celle
pour l’assassinat d’un enfant de neuf ans, le 16 novembre… avec chaque fois le
chantage des nervis aux parents de ne pas rendre le corps de leur enfant s’ils
ne font pas une déclaration de mort « accidentelle »… Mais les
parents insultent les milices…
Dans les régions les plus
pauvres, particulièrement là où vivent les Kurdes et les Baloutches, c’est sans
quartier, le gouvernement leur mène une véritable guerre avec blindés,
mitrailleuses lourdes et tir à vue. Ce sont eux qui paient le prix le plus fort
comme les chiffres le prouvent : sur les 400 morts (à mi-novembre), un
quart sont des Baloutches. Le gouvernement depuis des décennies essaie de faire
de ces populations des boucs émissaires. Mais cela ne marche pas du tout ;
ainsi une grève a été organisée au Balouchistan en soutien au Kurdistan et des
pancartes dans le reste du pays proclament : « Zahedar (capitale du
Sistan-Balouchistan) et Sanandaj (capitale du Kurdistan) prunelles des yeux de
l’Iran » et en moins poétique : « Ensemble, nous allons
reprendre l’Iran ».
A ces manifestations, il faut
ajouter celles des commerçants des bazars, notamment ceux de Téhéran mais aussi
dans beaucoup d’autres villes, qui baissent régulièrement le rideau, en
solidarité. Les étudiants, lycéens et collégiens, multiplient les actions… En
réalité, tout le pays est en rébellion ouverte contre la dictature.
Les
grèves
La 1ère semaine d’octobre, des
grèves avaient éclaté dans le secteur du pétrole ; 4000 travailleurs y
avaient participé.
Le 23 novembre, l’entreprise Crouze
de Téhéran a fait grève, avec comme slogan : « le seuil de pauvreté
est de 20 (millions) de tomans, notre salaire de six » ; une usine de
construction automobile a également fait grève ainsi que la 11ème raffinerie de
South Pars, le plus grand champ gazier du monde, représentant 8 % des
réserves mondiales.
Le 27 novembre, c’était le tour
des travailleurs et employés du complexe sidérurgique d’Ispahan, rejoints par
ceux d’une usine de construction automobile et ceux d’une usine
d’électroménager réclamant leurs 9 mois d’arriérés de salaire. Ils ont brûlé
des pneus devant l’usine et mis des pancartes : « ouvriers, criez vos
droits ». Les camionneurs se sont mis en grève dans dix villes.
Il en faut du courage pour se
mettre en grève dans une situation où il faut deux emplois pour avoir une
chance de survie. Et pour recommencer alors qu’ils sortent à peine de deux
autres mouvements, en 2019 et en 2020 qui les ont laissés à bout de souffle.
Deux explosions de colère contre les salaires non payés, les contrats précaires
et des conditions de travail si inhumaines qu’un ouvrier, au moins, était mort
d’épuisement ; les grèves avaient sérieusement fait peur au régime car
elles concernaient principalement le secteur du pétrole et du gaz, la
principale ressource du pays et les travailleurs avaient payé cher, en morts et
arrestations la menace qu’ils représentaient.
Mais les grèves actuelles
montrent qu’ils n’ont pas été écrasés et vu leur nombre et leurs poids dans
l’économie, ils peuvent faire basculer la situation comme ceux de la génération
précédente l’avaient fait en renversant la dictature du Shah.
NB : La répression est assez
terrible ; en attaquant les Kurdes et d'autres minorités, le régime essaie
de monter la population contre eux pour détourner sa colère. Mais cela ne règle
pas le problème des grandes villes qui subissent elles aussi la répression.