Vive la mémoire de la Commune
Il
y a 150 ans, la Commune entrait dans sa dernière semaine d’existence. Notre
journal consacre un article à cette dernière semaine qui vit l’entrée des
Versaillais dans Paris et qui allait amener une répression féroce et la fin de
cette première insurrection ouvrière victorieuse de l’histoire. C’est cet
article que nous vous proposons.
21-28 mai
1871, la Semaine sanglante : la république bourgeoise écrase le pouvoir ouvrier
19 Mai 2021
Le 21 mai 1871, deux mois après
l’installation de la Commune, les troupes versaillaises entraient dans Paris et
commençaient une semaine de reconquête militaire rythmée par l’élimination
systématique de tous ceux ayant pris leur part dans le premier pouvoir ouvrier.
Pour rendre le pouvoir à la bourgeoisie, le gouvernement de la IIIe
République à peine formé faisait un bain de sang et transformait Paris en un
monceau de ruines.
Dès le jour de son échec à
désarmer les Parisiens, le 18 mars, le choix de Thiers, chef du gouvernement
réfugié à Versailles, avait été de reprendre par les armes la ville aux
insurgés. Pour lui, il s’agissait d’une guerre de classes. Il considérait les
communards comme des « scélérats voulant abolir la propriété
privée » inspirés par l’Internationale, de la « vermine des
faubourgs, cosmopolite » et hostile au clergé.
« Il n’y a pas à pactiser
avec l’émeute. Il faut la dompter, il faut châtier Paris »,
résumait le ministre des Affaires étrangères.
Alors qu’à Paris, au soir du 18
mars, le comité central de la Garde nationale réfléchissait à préparer des
élections pour constituer la Commune, Thiers à Versailles préparait déjà la
guerre. Dès le 20, les Versaillais commencèrent à occuper les forts autour de
la capitale.
N’ayant au départ à sa
disposition que des effectifs faibles et peu sûrs, Thiers fit feu de tout bois,
enrôlant gendarmes et mouchards, négociant avec la Prusse pour qu’elle libère
des soldats français faits prisonniers. L’armée de l’ordre bourgeois, en
déroute et désunie au moment du soulèvement parisien, compta bientôt
130 000 hommes.
Nommé à la tête des armées
versaillaises, le comte de Mac-Mahon se donnait comme mission de « purger
la racaille ». Ce futur président de la IIIe République, représentant
des « honnêtes gens », fut mandaté par les élus de la Chambre,
monarchistes comme républicains, pour déchaîner ses soudards contre les forces
mal organisées des prolétaires.
Au matin du 21 mai, par un beau
dimanche de printemps, l’armée occupait Auteuil et Passy, avant de se déployer
encore prudemment le lendemain dans les quartiers cossus de l’ouest de Paris.
Les troupes versaillaises se
heurtèrent à la résistance des Parisiens, dressant partout des barricades. Mais
ceux-ci furent bientôt submergés par la force organisée et le nombre des
assaillants. Le soir du 22 mai déjà, la moité ouest de Paris était occupée.
Pour retarder les Versaillais
passant par les immeubles pour contourner les barricades, les Communards y
mirent parfois le feu. Certains lieux symboliques de l’ancien pouvoir exécré,
le Palais de justice, la préfecture de police ou encore le palais des
Tuileries, furent incendiés.
Le 23 Montmartre était pris, le
24, la Commune dut évacuer l’Hôtel de Ville. Des combats acharnés eurent lieu
autour de la Butte-aux-Cailles, de la place du Château-d’Eau (aujourd’hui place
de la République). Le 25 au soir, le pouvoir ouvrier ne tenait plus que le
quart nord-est de la ville.
Le 27, après avoir pris les
Buttes Chaumont, les Versaillais pénétraient dans le cimetière du Père-Lachaise
transformé en champ de bataille. Le 28 en début d’après-midi, la dernière
barricade était prise.
Lors de ce qui allait rester dans
l’histoire comme la Semaine sanglante, au nom de l’ordre et de la loi des
propriétaires, l’armée de la toute jeune république bourgeoise voulait faire un
exemple en massacrant systématiquement les prolétaires insurgés. Dès le début
de l’offensive versaillaise, les blessés furent achevés et les prisonniers
exécutés à la baïonnette au pied des barricades. Le nettoyage des quartiers par
des corps spéciaux fut systématique. Toute personne vêtue d’un bout d’uniforme
fut collée au mur. Avoir les mains noires, des allumettes en poche ou une
bouteille d’huile suffisait pour être passé par les armes. La terreur blanche
s’abattait au hasard, n’épargnant ni les soignants, ni les enfants trop
curieux, ni les égarés au milieu des ruines.
Il fallut bientôt évacuer les
cadavres par tombereaux vers des fosses improvisées ou les jeter à la Seine.
Paris devint un abattoir, et la chasse au prolétaire se poursuivit jusque dans
les égouts, à l’aide de chiens. Il y eut du côté des communards 17 000
morts selon l’armée, mais peut-être 25 000 ou 30 000. Au lendemain
des massacres, les services municipaux dénombrèrent 100 000 habitants en
moins à Paris.
Plus encore qu’une reconquête
militaire, il s’agissait d’une épuration consciente. Le gouvernement
républicain voulait que l’ordre bourgeois soit restauré, et pour longtemps.
Comme le résuma Emond de Goncourt, écrivain favorable à Versailles : « Une
telle purge, en tuant la partie combative de la population, reporte la
révolution pour une génération. » Thiers reçut pour cela les
félicitations de toute l’Europe réactionnaire, du chancelier Bismarck au tsar
de Russie en passant par l’empereur austro-hongrois.
Le jour même où la Commune
prenait fin, Thiers déclarait : « Après la victoire, il faut
punir. Il faut punir légalement, mais implacablement. »
Au bain de sang allait succéder
la répression judiciaire de masse. En région parisienne placée sous état de
siège, 26 conseils de guerre furent chargés d’appliquer une justice expéditive.
Ceux qui avaient échappé aux exécutions formèrent des convois de prisonniers,
acheminés d’abord à Versailles sous les crachats et les insultes de la bonne
société rassemblée.
Les peines prononcées furent
lourdes : emprisonnements, déportations, y compris en enceinte fortifiée,
et parfois à vie. Une centaine de condamnations à mort furent prononcées. Les
procès s’étalèrent sur quatre ans.
La Semaine sanglante révélait
sans fard la face cachée des progrès de la « civilisation »
bourgeoise. Devant la peur de perdre ses privilèges, ses prétendus principes de
justice et valeurs universelles faisaient place à un carnage de masse. La
bourgeoisie avait vu dans la Commune, malgré son isolement, malgré la modestie
de ses mesures sociales, un danger mortel pour son système d’exploitation. Face
à une ville ouvrière en armes et luttant pour la libération de toutes les
classes opprimées, la république bourgeoise naissante se montrait dans toute sa
barbarie.
Les massacres de la Semaine
sanglante allaient rester comme une démonstration de tout ce dont est capable
la bourgeoisie lorsque le prolétariat ose se lever contre son oppression. Face
à elle, la classe ouvrière doit se donner tous les moyens de vaincre.