Algérie :
Les femmes massivement mobilisées
Dans le mouvement populaire qui
secoue l’Algérie, les femmes sont de plus en plus présentes et leur
participation est un énorme renfort. Cela a été particulièrement visible le
vendredi 8 mars, notamment à Alger qui a vu la manifestation la plus
importante, rassemblant des centaines de milliers de personnes.
Ce 8 mars était l’acte III,
troisième vendredi consécutif de mobilisation contre le 5e mandat du
candidat-président Bouteflika, mais il coïncidait aussi avec cette journée.
Alors que le pouvoir avait fait cette journée une fête officielle, les femmes
algériennes se sont réapproprié leur combat en l’exprimant cette fois dans la
rue, bien plus nombreuses que lors des deux grandes mobilisations précédentes
des 22 février et 2 mars.
Un 8 mars
pas comme les autres
Toutes les générations ont défilé
côte à côte : mères de famille, étudiantes et lycéennes, déjà dans la rue
les deux mardis précédents, travailleuses, chômeuses, femmes âgées, certaines
même en fauteuil roulant. Des femmes voilées ou non, d’autres en haïk (voile
blanc traditionnel autour du corps), toutes affichaient leur joie, leur fierté
et leur détermination. Les manifestations très populaires avaient un caractère
familial et débonnaire, avec une ambiance dans les rues complètement changée.
Les participants étaient prévenants, soucieux et respectueux les uns des
autres. À la place des habituelles remarques sexistes, des regards déplacés,
des attouchements subis par les femmes, il y avait une fraternité et une
solidarité inédites !
Tout cela marquait un grand
changement ! D’habitude en effet, le 8 mars ressemble plus à une sorte de
fête des mères, lors de laquelle des festivités bien encadrées sont organisées
en l’honneur des femmes, auxquelles il est de bon ton d’offrir des roses et de
souhaiter bonne fête. Elles ont droit à la condescendance du pouvoir, qui leur
octroie même une demi-journée de congé mais pas le droit de manifester. Bien
des associations féminines et culturelles organisent malgré tout des
rencontres, des rétrospectives, afin de célébrer les luttes des femmes, mais
elles n’ont pas le droit à des actions de rue.
Les derniers rassemblements
d’importance remontent à 2015, après l’assassinat de Razirka Chrif à Msila, une
jeune femme écrasée délibérément par un automobiliste parce qu’elle avait
refusé ses avances. L’émotion et la mobilisation dans le pays avaient accéléré
l’adoption de la loi sur les violences faites aux femmes. C’était la première
fois qu’une loi spécifique criminalisait ces violences. Cependant, afin de
ménager les islamistes, les autorités avaient concédé une clause révoltante sur
le « pardon », rendant ainsi possible l’impunité dans certaines
situations.
Des
revendications politiques et sociales
Dans le contexte du mouvement de
contestation, l’affluence des femmes dans les manifestations était d’autant
plus marquante. Les pancartes, les banderoles témoignaient de leur souci de
lier le combat en cours à la lutte pour l’émancipation des femmes : « 8
mars de lutte et de combat. Les femmes s’engagent, système dégage », « On
n’est pas consentant(e)s, arrêtez le viol », « Je ne vais pas faire
la vaisselle, je fais la révolution », « Ne me libère pas, je
m’en charge », « March like a girl ». Des femmes de
l’association Djazairouna : pour la vérité, pour la justice, pour la
mémoire, brandissaient des photos de femmes assassinées pendant la décennie
noire. Les femmes interrogées par les journalistes témoignaient aussi de leur
inquiétude pour l’avenir de leurs enfants, entre chômage, drogues ou harragas
(ceux qui tentent la traversée de la Méditerranée). Une femme interviewée par
le journal El Watan disait vouloir « une meilleure vie pour
notre jeunesse. Je pense aux jeunes qui sont mangés par les poissons
(harragas). Nos dirigeants mangent du poisson et nos enfants servent de chair à
poissons ».
Une des préoccupations
essentielles des femmes algériennes reste de pouvoir circuler librement, sans
avoir à subir le harcèlement de rue. De même, elles continuent le combat contre
le Code de la famille qui, malgré quelques amendements apportés en 2005,
conserve toujours les mêmes dispositions inégalitaires sur les conditions du
mariage, la polygamie, les dispositions sur le divorce, le lien paternel de
filiation et l’héritage. Et bien sûr, comme partout dans le monde, les femmes
qui travaillent sont aussi les plus exploitées, souvent réduites à des emplois
précaires et mal rémunérés.
Fortes de leur participation
massive aux manifestations contre le 5e mandat, bien des femmes d’Algérie sont
déterminées à poursuivre le combat pour leur émancipation sociale et politique.
Des travailleurs algériens continuent sans doute de reprendre à leur compte les
propos assénés pendant des années par les islamistes sur les « voleuses
d’emploi » ou celles « qui veulent quatre maris ». Cela n’est
pas surprenant. Mais ce mouvement de contestation où les femmes se retrouvent
en nombre, dans lequel un climat tout nouveau émerge, crée justement des
conditions où ces préjugés peuvent être dépassés. Comme le proclamait une
pancarte : « Femmes et hommes, unissons-nous dans la lutte, main
dans la main, pour en finir avec l’exploitation ».