Ils tueraient pour chaque centime
Transport ferroviaire aux États-Unis. Merci Wikipédia
Le 3 février dernier, un train de
la compagnie américaine de chemins de fer Norfolk Southern a déraillé à East
Palestine, Ohio. Il contenait plusieurs tonnes de divers produits chimiques
hautement toxique et a brûlé pendant cinq jours.
L’accident
aurait été causé par une défaillance des freins. Le train qui a déraillé
contenait du chlorure de vinyle, un agent cancérigène, qui se décompose par
combustion en phosgène et en chlorure d’hydrogène. À savoir : le phosgène
est un gaz toxique qui a été utilisé comme arme chimique pendant la première
guerre mondiale et qui y a été responsable de 100 000 morts (80% des morts
par arme chimique sur la totalité de la Grande Guerre). Quant au chlorure
d’hydrogène, il donne de l’acide chlorhydrique (l’acide courant le plus
puissant) au contact de la vapeur d’eau. La carcasse du train a brûlé plusieurs
jours durant.
Les
5000 habitants de la ville d’East Palestine ont été évacués, et toute une
partie des habitants de la région sont partis de leur propre initiative. Trois
jours après l’accident, la compagnie et les autorités ont décidé d’accélérer
artificiellement la libération des produits chimiques en combustion,
officiellement pour éviter une explosion, mais officieusement pour libérer plus
rapidement les voies. Une semaine après, elles assuraient aux riverains qu’il
n’y avait plus de danger et qu’ils pouvaient rentrer chez eux. Quant à Norfolk
Southern, l’entreprise a commencé à distribuer des chèques de 1000$ aux
habitants pour réparation. Ce qui ne fait pas très cher, pour une entreprise
qui pèse 54 milliards de dollars en bourse, administre 34 600 km de rails
(sans compter les dépôts et voies de garage) dans 22 états, et a fait presque
13 milliards de dollars de bénéfice en 2022. Entreprise qui est déjà
responsable d’un déraillement en Caroline du Sud en 2005, qui a déversé du
fioul et du chlore dans le réseau hydrologique de la région et fait 9 morts. La
dépollution lui avait à l’époque coûté 26 millions, c’est-à-dire un
quatre-centième de son chiffre d’affaires de 2009.
Alors,
un accident malheureux et une gestion de crise maladroite ? Précisons tout
de même que Norfolk Southern a dépensé 1,8 millions de dollars en frais de
lobbying officiels l’an passé, pour demander entre autres l’assouplissement des
normes sur les freins, sur la longueur maximale des trains, et sur les trains
dits « à haut-risque ». De plus, les travailleurs de la compagnie
étaient en sous-effectif depuis des années, comme tous les travailleurs du
secteur ferroviaire aux États-Unis, dont 22% ont été licenciés rien que depuis
2017. Les autorités de l’État œuvrent la main dans la main avec Norfolk
Southern… pour étouffer l’affaire : un journaliste a été arrêté dans une
conférence de presse du gouverneur par les gardes nationales d’Ohio. Ce que les
pontes veulent, c’est que les habitants rentrent chez eux avec leurs 1000$, et
qu’ils se taisent : après tout, ce ne sont que des campagnards du Midwest,
et aux États-Unis ce qui se passe en dehors des grandes villes compte pour du
beurre.