Manouchian
au Panthéon : morts d’hier et combines politiques d’aujourd’hui
21 Juin 2023
Le 18 juin, lors du traditionnel
et obligatoire discours présidentiel sur la Résistance, de Gaulle, l’unité
nationale et l’habituel fatras tricolore, Macron a annoncé l’entrée de Missak
et Mélinée Manouchian au Panthéon.
Ainsi, au milieu d’une campagne
permanente contre les immigrés, les sans-papiers, les étrangers, après l’envoi
de la police contre les travailleurs qui se battent pour leurs droits, après
les litanies injurieuses contre « l’ultra gauche », le geste
de Macron se voudrait dirigé vers sa gauche, en offrant à deux ouvriers
communistes, arméniens arrivés clandestinement en France, une place aux côtés
des grands hommes méritant la « reconnaissance de la patrie ».
Cela ne concerne évidemment pas leur engagement communiste dans la lutte de
classe des années 1930, mais le fait d’avoir été sous l’Occupation les
organisateurs des FTP-MOI, les groupes armés issus du secteur Main-d’œuvre
immigrée du PCF d’avant-guerre. Missak Manouchian et 23 de ses camarades,
espagnols, italiens, juifs, arméniens, furent pour cela arrêtés et fusillés au
mont Valérien en février 1944.
Après la tragédie de 1944 vient
la comédie politique d’aujourd’hui, soigneusement calibrée, du petit intérêt
immédiat jusqu’à la préparation de sombres lendemains. Ce geste en direction de
la gauche, et singulièrement du PCF, qui milite depuis longtemps pour la
panthéonisation de Manouchian, veut démontrer la largeur d’esprit de Macron,
son attachement au roman national, version de Gaulle-Jean Moulin-Résistance. Il
lui fallait bien cela pour faire pendant à la quasi-réhabilitation du maréchal
Pétain opérée en 2018. Cette célébration participe aussi du constant effort
étatique et politique pour installer l’idée de l’unité nationale. Il s’agit,
comme en toute circonstance, de persuader les travailleurs que, nés ici ou
ailleurs, ils doivent être prêts à mourir pour la mère patrie, c’est-à-dire
pour ses banquiers et ses industriels.
L’opération politique n’est pas
nouvelle et toute l’histoire de Missak Manouchian et des militants communistes
entrés dans le combat contre le nazisme et l’État de Pétain en fut une tragique
illustration. Leur courage et, pour beaucoup, le sacrifice de leur vie furent
mis au service d’une bien mauvaise cause. Le PCF suivait depuis juin 1941 une
politique d’union sacrée derrière de Gaulle, Roosevelt et Staline. Il
s’agissait de vaincre l’Allemagne sans risquer de provoquer de crise
révolutionnaire, comme celle commencée lors de la Première Guerre mondiale ou
comme celle qui s’annonçait dès 1943, en Italie. Toute idée de lutte de classe
devait donc être abandonnée au profit de l’unité nationale derrière la
bourgeoisie. Personne ne peut savoir ce que Manouchian et ses camarades
pensaient de l’abandon par le PC de tout internationalisme, de toute
perspective révolutionnaire et de son alignement derrière un général
réactionnaire. Quoi qu’il en soit, la direction stalinienne les envoya à la
mort pour se faire admettre par les autres partis de la Résistance comme un
parti « combattant pour la France ». Cette politique purement
nationaliste allait contribuer à réinstaller après la guerre la république en
tant que régime « démocratique » de la bourgeoisie
capitaliste. C’est cette politique qui est aujourd’hui honorée par Macron, les
médias unanimes et les héritiers revendiqués, à tort ou à raison, du PCF de
l’époque.
Missak et Mélinée Manouchian et
leurs camarades, militants ouvriers abusés par les staliniens, combattants
assassinés par les fascistes, internationalistes transformés malgré eux en
icones nationales, avaient eu suffisamment de courage et de foi dans l’avenir
pour offrir leur vie dans la lutte contre l’oppression. Cela les place hors
d’atteinte des combinaisons minables d’un Macron et de l’exploitation de leur
image par un PCF qui ne sait plus depuis longtemps ce que le mot communisme
signifie.
Paul GALOIS (Lutte ouvrière n°2864)