mercredi 16 janvier 2019

Gilets jauneLutte de Classe, la revue de Lutte ouvrière : un supplément concernant la mobilisation des gilets jaunes (2ème partie)s :


Les gilets jaunes : l’expression d’une colère, la recherche d’une perspective




Cet article a été rédigé le 3 janvier 2019. Il ne tient donc pas compte d’événements survenus par la suite, ni de non-événements tels que le débat national de Macron avec ses rebondissements successifs. Il sera publié dans le prochain numéro de notre mensuel à paraître fin janvier.
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La révolte contre les impôts et taxes « qui saignent les malheureux »

Les révoltes contre des prélèvements de l’État, les impôts et les taxes, ressentis comme injustes, font partie des moments forts de l’histoire des luttes de classe. Le pourrissement du capitalisme financiarisé leur donne une nouvelle actualité. En dehors de son rôle régalien de défense de l’ordre capitaliste, l’État joue de plus en plus le rôle d’huissier chargé de prélever directement sur la population de quoi compléter la masse de plus-value dégagée par l’exploitation directe et de le mettre à la disposition de la grande bourgeoisie.
Dissimuler cette arnaque derrière le prétendu intérêt général marche d’autant moins que ce qui, dans les services publics, est utile à la majorité de la population – écoles, accès aux soins, Ehpad, transports publics dignes de ce nom – est laissé à l’abandon alors même que s’accroissent les prélèvements. Le parasitisme croissant du grand capital, qui oblige son État à détourner de plus en plus ses moyens financiers vers les grandes entreprises privées et vers leurs propriétaires et actionnaires, quitte à démolir ceux des services publics qui sont utiles au plus grand nombre, est en train de tuer la crédibilité de l’État de la bourgeoisie dans sa prétention à représenter les intérêts généraux de la population.
Le « macronisme », » qui s’est présenté en ses débuts comme la solution à la perte de crédit des partis de la bourgeoisie qui incarnaient l’alternance gauche-droite, constitue aujourd’hui au contraire le problème. La démocratie bourgeoise s’enfonce dans le marasme. Les atermoiements affolés du gouvernement face à une crise politique, somme toute limitée pour le moment, ont une signification plus profonde que ne méritent la petite personne de Macron et la cour d’arrivistes qu’est sa majorité parlementaire. C’est l’autorité de l’État qui est mise en cause.
Le constat ne vaut pas seulement pour la France. Sous les formes les plus variées, la même évolution est en train de se produire dans les pays les plus développés de la planète (quant aux autres, la majorité sous-développée ou semi-développée de la planète, la forme démocratique du pouvoir de la bourgeoisie n’a jamais été autre chose qu’un simulacre). Partout, pour la même raison fondamentale, c’est l’agonie prolongée de l’organisation sociale capitaliste.
Le problème qui est posé à la société dépasse l’agitation dérisoire des partis traditionnels de la bourgeoisie, comme de ceux qui essayent d’en prendre la relève. Il n’est pas dans la façon de gérer les affaires de la bourgeoisie, et encore moins de choisir qui les gère. Il est dans la légitimité de la bourgeoisie à diriger la société alors qu’elle la mène à la catastrophe.

Les axes des interventions des communistes révolutionnaires

Le propre des mouvements de masse, fussent-ils limités, est qu’ils rendent concrets, perceptibles, des problèmes et des objectifs qui apparaissaient auparavant abstraits, voire inimaginables. Le premier enseignement du mouvement des gilets jaunes est avant tout son existence, et son surgissement imprévu et imprévisible. Après une longue période où dominaient dans les classes exploitées la résignation et le scepticisme à l’égard de la possibilité même d’agir, voilà que le sursaut est venu d’une de ses franges, la plus écrasée, la plus désarmée, la plus abandonnée à son sort de masse populaire, la plus morcelée aussi. Ceux des classes populaires qui s’engageaient alors dans la contestation l’ont fait avec leurs préjugés, leurs illusions, leur inorganisation, leur apolitisme, avec tout ce que cela implique de handicaps, d’absence de boussole. Mais ils s’y sont engagés. L’entrée en contestation elle-même était le début d’un apprentissage, le seul qui soit donné aux masses populaires. Des formes de communication émergeaient. Des formes d’organisation surgissaient. Des femmes et des hommes, des personnes âgées vivant dans l’isolement découvraient, au gré des discussions et des fraternisations, que leur malheur n’était pas individuel. C’est peu, mais en même temps, c’est énorme. De sujets passifs subissant la loi des plus puissants et leur propagande permanente, ils se sont fait entendre et ont même commencé à peser sur la vie politique. C’est comme cela que la prise de conscience commence. Elle peut être contagieuse.
L’activité des militants révolutionnaires doit tout simplement faciliter cette prise de conscience, lui donner une formulation, anticiper les étapes suivantes. La culture marxiste en donne les moyens. L’engagement du côté du prolétariat, la confiance dans les capacités et les possibilités des travailleurs feront le reste. Ce sont les masses en mouvement qui peuvent comprendre les idées marxistes, le programme révolutionnaire, et en faire une force capable d’ébranler le monde.
La grande masse des exploités n’en est pas encore à lutter et même à contester. Mais même la contestation d’une minorité suscite des questions, permet la discussion. Il faut saisir ces possibilités. Même limitées aujourd’hui, elles pourront devenir utiles demain. Les luttes sociales ne font que s’annoncer.
La concomitance de décisions comme celle de supprimer l’impôt, pourtant dérisoire, sur la fortune des riches, et l’amputation de la pension des retraités du monde du travail, a posé d’emblée la question de l’inégalité sociale. Elle apparaissait de prime abord comme injustement aggravée par « l’homme des riches » qui est à l’Élysée. Mais c’est le début d’un raisonnement qui peut être facilement poussé plus loin. Macron, qui lui-même s’est réclamé d’un exercice « jupitérien » de la présidence, est ressenti comme un président coupé du peuple, et méprisant. Mais cela suscite des réflexions sur la nature du pouvoir, quel que soit l’individu qui l’exerce dans cette société inégalitaire. L’arbitraire de la décision d’ajouter une taxe sur le gazole, avec ce que cela implique pour le pouvoir d’achat, fait réfléchir sur l’utilisation des impôts et des taxes. Et combien de gilets jaunes, qui n’ont jamais participé à une manifestation, ont découvert en montant à Paris, à Toulouse ou à Bordeaux, que la police n’était pas seulement le policier municipal de leur localité, un voisin ou un cousin, en même temps qu’ils ont découvert, sans être pourtant venus manifester pour casser, les gaz lacrymogènes et les canons à eau. Tout cela constitue pour beaucoup une expérience politique, élémentaire mais nouvelle.
Le gros des participants au mouvement s’y est lancé pour le droit de vivre dignement, tout simplement. De disposer d’un travail pour ceux qui n’en ont pas, d’un pouvoir d’achat pour faire face aux dépenses quotidiennes de la famille, d’une retraite convenable. Des exigences modestes, que la société devrait pouvoir assurer à chacun de ses membres. Des exigences ressenties comme étant d’autant plus légitimes que la même société permet à une toute petite minorité de cumuler des fortunes qui dépassent l’entendement.
C’est là que doit commencer l’agitation des communistes révolutionnaires. Montrer que l’organisation sociale actuelle s’oppose même à cette exigence élémentaire. Que la richesse incommensurable de la minorité capitaliste repose, de façon particulièrement révoltante avec la crise économique, sur l’appauvrissement de ceux dont le travail, l’activité productive, ont précisément créé les richesses que cette minorité s’approprie et dilapide.
Tout le monde devrait avoir un emploi avec un salaire correct. S’il n’y a pas assez d’emplois, il faut répartir le travail entre tous. Le chômage est un drame pour celui qui le vit, et une aberration sociale, car en travaillant le salarié contribue à créer sa propre part de richesse sociale. L’activité des générations passées de travailleurs – notamment celles et ceux qui sont aujourd’hui à l’âge de la retraite – a créé des forces productives immenses, des usines, des banques, des transports, des réseaux de distribution. Les responsables du chômage sont ceux qui monopolisent ces forces productives et que le système économique actuel autorise à en disposer à leur gré, fût-ce aux dépens de milliers de femmes, d’hommes, de toute une ville ou de toute une région lorsqu’une entreprise ferme ou délocalise.
Le pouvoir d’achat doit être garanti par l’indexation automatique des salaires et des retraites sur les prix. Il est inacceptable que s’accroisse sans cesse le nombre de travailleurs pauvres, des femmes et des hommes qui, tout en apportant leur contribution au fonctionnement de la société, sont poussés vers la misère matérielle et par là-même, morale. Une société qui tolère cela est une société en train de se suicider.
Ce sont là les premiers pas indispensables pour préserver de la déchéance les travailleurs salariés, les retraités. Ils ne peuvent pas être franchis autrement que par la lutte. Cette lutte indispensable, inévitable ne doit pas seulement viser ceux qui nous gouvernent. Elle doit viser, au-delà, ceux qui accaparent les richesses créées pourtant par l’activité collective. C’est légitime. C’est moral. C’est d’une nécessité vitale pour empêcher que le système broie ceux dont l’activité fait fonctionner toute la société.
Ce n’est que de la légitime défense de la part des classes travailleuses face à un danger immédiat, mortel pour la composante active de la société qu’ils sont. Mais pour écarter définitivement la menace qui pèse sur l’humanité, il faut arracher le pouvoir à la grande bourgeoisie. Il faut exproprier la minorité de gros possédants capitalistes qui exercent un pouvoir dictatorial sur l’économie et qui l’ont conduite à l’impasse des crises répétitives.
À la pleurnicherie mièvre des réformistes en tout genre qui proposent un « meilleur partage des richesses », il faut opposer l’expropriation des grands capitaux, des grandes entreprises et des banques. La grande bourgeoisie ne partage pas. Et le problème de la société n’est pas de mieux partager la richesse accumulée entre les mains d’une poignée de grands capitalistes. Il est de mettre fin à un système économique qui, tant qu’il dure, draine inexorablement vers cette poignée de capitalistes ce qui résulte de l’activité, de la créativité, de la collectivité humaine. Un système économique injuste et irrationnel depuis toujours, mais aujourd’hui en état de faillite manifeste.
Il n’y a pas de compromis équitable entre la grande bourgeoisie et le prolétariat. Il n’y a pas d’organisation économique intermédiaire entre celle de la bourgeoisie capitaliste, fondée sur la propriété privée des moyens de production, la course au profit privé et la concurrence, et celle dont sera porteuse la classe ouvrière : une économie organisée sous le contrôle de ceux qui travaillent, et planifiée pour satisfaire en priorité les besoins matériels et culturels de tous, compte tenu des moyens disponibles.
Qui de la bourgeoisie ou du prolétariat l’emportera ? La question posée depuis le Manifeste communiste est la seule décisive pour l’avenir. Prendre le parti du prolétariat dans ce combat, contribuer à ce qu’il renoue avec la conscience de la tâche historique qui est la sienne, reste le guide de tout militant, de toute organisation communiste révolutionnaire, plus particulièrement lors des crises sociales.

                                                                                     3 janvier 2019

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