dimanche 30 décembre 2018

Les révolutionnaires et le mouvement des Gilets jaunes. Un article de notre revue Lutte de Classe n°196 – décembre- janvier2019 (en feuilleton) -2-


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Une crise politique majeure

Mais ce qui est sûr, c’est que nous sommes dans une crise politique importante. Le texte sur la situation intérieure décrit le tangage qui secoue la Macronie depuis déjà quelques mois, avec la chute dans les sondages, les doutes des fidèles, l’affaire Benalla, les départs de Hulot et de Collomb. Depuis l’élection de Macron, nous défendons l’idée que son pouvoir est faussement stable. Macron a certes apporté une solution à la crise de l’alternance. Mais parce qu’il gouverne au profit de la grande bourgeoisie, non seulement il est incapable de répondre aux ravages de la crise dans les classes populaires, mais sa politique ne peut que les aggraver.
Ce raisonnement, nous le faisons depuis le début, il est devenu aujourd’hui réalité. C’est monté crescendo mais on en est maintenant à ce que des commentateurs politiques envisagent sérieusement la chute du gouvernement.
La crise politique est là et elle est profonde. Que le gouvernement arrive ou pas à rétablir le calme, cette crise politique continuera. D’abord parce que Macron est largement discrédité dans la population et par là même, dans une certaine mesure, aux yeux de la bourgeoisie.
Du point de vue des possédants et de la bourgeoisie, Macron ne fait plus vraiment le job. Il avait tout pour plaire à la grande bourgeoisie, aux banquiers et compagnie, il y a dix-huit mois. Maintenant qu’il met le pays à feu, si ce n’est à sang, et ce, pour une broutille comme la taxe carbone, la bourgeoisie a quelque raison d’être moins contente de lui.
Ce que la bourgeoisie attend de son personnel politique, c’est qu’il gère la situation en assurant l’ordre social. C’est qu’il fasse passer la pilule d’une politique foncièrement favorable aux plus riches. Et les critiques que l’on entend de la bouche de vieux briscards du genre de Royal ou de Hollande, mais aussi de Cohn-Bendit, soutien de la première heure de Macron, qui pointent son inexpérience et son orgueil surdimensionné qui l’auraient empêché de reculer au moment où il le fallait, toutes ces critiques reflètent sans doute ce qui se dit aussi du côté de la bourgeoisie.
Cette crise est d’autant plus préoccupante pour la bourgeoisie que la défiance qui s’exprime vis-à-vis de Macron s’exprime aussi vis-à-vis de l’État. La légitimité de l’élection de Macron et les institutions sont contestées. Et le fait que les violences du samedi 1er décembre, la casse et les affrontements contre les CRS, soient majoritairement compris et acceptés non seulement par les gilets jaunes eux-mêmes, mais y compris dans une large fraction de la population non mobilisée, montre la cassure d’une partie de la population avec l’État.

La politique des partis d’opposition

Du côté de l’opposition (extrême droite, droite, PS, LFI, PCF…) tout le monde tire à boulets rouges sur Macron. Après Dupont-Aignan et Wauquiez qui ont revêtu un gilet jaune, Hollande s’est fait photographier avec eux en prenant un plaisir manifeste à enfoncer le petit jeune qui lui a volé la place. La vengeance est un plat qui se mange froid, paraît-il. Eh bien, Hollande savoure.
Alors voilà, tous les politiciens que compte le pays font la leçon à Macron. Y compris ceux qui sont passés au pouvoir à un moment ou à un autre, et qui ont donc une responsabilité écrasante dans la situation actuelle. Ils prétendent tous avoir la solution pour mettre fin à la fronde sociale.
Cette unanimité et cette unité contre Macron avec les gilets jaunes, que tous disent comprendre, sont complètement fictives. Mais comme dans ce mouvement il y a effectivement tout qui s’exprime, et que bien des militants y interviennent pour le tirer dans tel ou tel sens, il n’est pas difficile pour eux de s’en revendiquer d’une façon ou d’une autre. Tant que le mouvement se focalise sur la politique fiscale injuste du gouvernement, sans s’attaquer à la bourgeoisie, chacun de ces partis pourra y défendre sa partition.
Cela dit, tous les partis d’opposition sont suffisamment responsables vis-à-vis de la bourgeoisie pour appeler au calme social. Leurs demandes de démission de Macron (Dupont-Aignan, François Ruffin) ou du ministre de l’Intérieur Castaner (Le Pen), ou encore de dissolution de l’Assemblée nationale (Mélenchon) pour retourner aux urnes, sonnent radicales. Mais elles consistent surtout à proposer des solutions dans le cadre des institutions et pour en finir avec la rue.
Il est trop tôt pour dire dans quel sens politique ce mouvement va peser. Comment peut-il évoluer politiquement? Certains gilets jaunes voudraient se transformer en parti politique. Certains ont explicitement dit quils préparaient une liste pour les élections européennes. Vu les difficultés de leur mouvement à se doter de porte-parole, cela paraît très ambitieux. Mais ce n’est pas impossible. En Italie, nous avons l’exemple du Mouvement 5 étoiles. Très hétéroclite, il s’est constitué à partir de 2009 autour de la figure de Beppe Grillo, qui a servi de ciment. Grillo n’avait, au départ, rien d’un militant, c’était un comique, un phénomène de télévision. C’est dire que les voies de structuration d’un mouvement peuvent surprendre.
En Espagne, le mouvement du 15M (des Indignés) de 2011 a donné naissance à Podemos. Ce mouvement était sans doute plus profond, plus massif et plus marqué à gauche que ne l’est pour le moment celui des gilets jaunes. En tout cas, l’éventualité qu’un nouveau courant émerge sur la base du plus petit dénominateur commun, qui pourrait être le dégagisme, c’est-à-dire le rejet des partis classiques, n’est pas à exclure.
L’autre possibilité, c’est tout simplement que le mouvement se désagrège sous des pressions politiques contradictoires. Dans les médias, tous les partis d’opposition tentent d’instrumentaliser le mouvement pour tirer la couverture à eux. Et cela ne se passe pas que sur les plateaux de télé! Il faut se comprendre sur lexpression mouvement spontané. Les gilets jaunes sont traversés par des influences politiques multiples. L’extrême droite y grenouille depuis le début. Certaines initiatives émanent d’ailleurs de militants de Debout la France (DLF) ou du Rassemblement national (RN). Cette influence, elle s’est vue sur le barrage de Flixecourt, dans la Somme, où le 20 novembre des gilets jaunes ont dénoncé six migrants cachés dans une citerne, et s’en sont vantés. Elle se voit avec la rumeur délirante sur l’accord de Marrakech qui forcerait la France à ouvrir ses frontières. Pour l’instant, ces prises de position antimigrants sont restées très minoritaires et les propos racistes ont souvent explicitement été rejetés par des gilets jaunes qui y étaient confrontés. Quant à l’omniprésence du drapeau tricolore, il ne serait pas juste de l’assimiler systématiquement à l’extrême droite. À l’opposé, on sent l’influence du PCF, de La France insoumise (LFI) ou de syndicalistes. En particulier dans les voix qui insistent sur les services publics.
Ce mouvement fait l’objet d’un combat politique et reflète les divisions qui existent dans la société. Qui tirera son épingle du jeu? Mélenchon ou, à lopposé, le RN? Ce mouvement, qui a donné à des milliers de femmes et dhommes le goût de lengagement et de laction collective, peut aussi faire naître des groupes daffinité qui pourraient devenir, sous l’influence de quelques militants d’extrême droite racistes ou anti-immigrés, des groupes de choc contre les migrants ou contre le mouvement ouvrier. Nous trouvons toujours des choses sympathiques dans ce mouvement parce qu’il s’agit dans une large mesure de travailleurs qui se battent et avec qui nous pouvons discuter. Mais la plupart du temps, ce n’est pas avec nous qu’ils discutent et les influences les plus fortes sont celles des préjugés de toute sorte.
Les périodes de remontée des luttes donnent un sens aux politiques révolutionnaires comme aux politiques réactionnaires. Rien n’est écrit. Il s’agit d’un combat. Même si nous ne sommes pas de taille à influencer le cours des événements, nous nous devons de proposer une politique aux travailleurs dans cette situation… 

A suivre demain…

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