dimanche 19 mars 2017

19 mars 1962. Un espoir pour les rappelés, pour tous ces jeunes que l'on avait envoyés combattre pour des intérêts qui n'étaient pas les leurs. Petit rappel.


Pour mes amis de la FNACA d’Argenteuil

 

Printemps et été 1956 - Guerre d’Algérie: les rappelés manifestaient contre leur départ

 

Il y a cinquante ans, le 11 avril 1956, le gouvernement du socialiste Guy Mollet décidait de rappeler 70000 soldats du contingent «disponibles» pour intensifier la guerre contre le peuple algérien en lutte pour son indépendance. Le service militaire passait de 18 mois à 27 mois. Cette décision allait soulever le mécontentement de ces «rappelés», soutenus par une partie de la population.

En août 1955, Edgar Faure avait déjà procédé au rappel de disponibles, provoquant les premières manifestations. Mais, incapable de sortir de la crise, le gouvernement d'Edgar Faure dut dissoudre l'Assemblée nationale le 2 décembre, provoquant de nouvelles élections en janvier 1956.

Le gouvernement socialiste de Guy Mollet intensifie la guerre

La coalition de «Front républicain», composée essentiellement de socialistes et de radicaux, gagna les élections avec 30% des voix et 170 députés, grâce à une campagne pour «la paix en Algérie». Le dirigeant du Parti Socialiste Guy Mollet se retrouva à la tête du gouvernement avec le soutien du Parti Communiste (qui représentait 26% des voix et 150députés). Pourtant si Guy Mollet prétendait que «l'objectif de la France, la volonté du gouvernement c'est avant tout de rétablir la paix», il ajoutait également: «Dans l'immédiat, le potentiel militaire des forces déployées en Algérie ne peut encore être diminué. Les besoins des troupes seront satisfaits et leur relève assurée.» Mais le PCF fit comme s'il n'avait pas entendu.

Le 12 mars 1956, les pouvoirs spéciaux furent votés avec l'apport du PCF. Ce vote signifiait pourtant la suspension de toutes les libertés individuelles en Algérie et l'intensification de la répression. Un mois plus tard, le gouvernement Guy Mollet décidait de mobiliser les rappelés.

Les manifestations de rappelés dès avril 1956

Les manifestations de rappelés commencèrent dans les jours qui suivirent cette décision. La plupart de ces soldats avaient un travail et n'avaient aucune envie de quitter leur famille, ni de risquer de se faire tuer pour une guerre dont ils pensaient qu'elle ne les concernait pas. Ils bénéficiaient souvent du soutien d'une partie de la population. Parfois, dans une usine, quand un ouvrier recevait sa feuille de route, les ouvriers débrayaient en signe de protestation.

Comme en 1955, les rappelés tentaient de bloquer les trains, refusaient de monter, saccageaient la gare, insultaient les officiers et, une fois dans le train, tiraient les sonnettes d'alarme pour l'arrêter. Ce fut le cas le mercredi 18avril à Vauvert dans le Gard, où un millier de personnes bloquèrent l'autorail qui devait emmener les douze rappelés de la commune. Des faits similaires se produisirent le 3mai à Lésignan, le 10mai à Saint-Aignan-des-Noyers dans le Loir-et-Cher, le 17mai au Mans. Le 18mai, à Grenoble, des milliers de manifestants s'opposèrent au départ d'un train de rappelés. Le même jour, 700rappelés mettaient à sac la gare de Dreux aux cris de «Lacoste au poteau» (Lacoste était le ministre socialiste résident à Alger), «Mollet au poteau».

Dans les ports aussi des mouvements eurent lieu, le 24mai au Havre, le 28mai à Saint-Nazaire où 8000 ouvriers débrayèrent et manifestèrent à la gare avec 200 rappelés du contingent. Et cela continua durant tout le mois de juin et au début juillet. Partout, on assistait à peu près au même scénario: des manifestants accompagnaient les rappelés en bloquant les voies, en coulant du ciment dans les aiguillages ou en décrochant les attelages des voitures. Souvent suivaient des affrontements avec les CRS.

Les casernes connurent aussi des troubles. Le 19 mai, les soldats rappelés du 92eRI forcèrent les grilles de la caserne de Montluçon à près de 800. Le même jour, à Évreux, cinq cents rappelés du 9erégiment d'infanterie coloniale manifestèrent dans les rues et à l'intérieur de la caserne aux cris de: «Pas d'envoi de disponibles!», «Paix en Algérie». Le 8 juillet encore, au camp de Mourmelon, trois mille rappelés conspuèrent leurs officiers et prirent le contrôle du camp et du dépôt d'armes.

Ces explosions étaient aussi brèves que soudaines, et les rappelés finissaient par partir. Hormis quelques rares cas de soldats qui refusèrent de combattre, ils se retrouvèrent pris dans l'engrenage de cette «sale guerre» coloniale. Et de 200000 hommes début 1956, les troupes en Algérie passèrent à 450000 en juillet 1956, et à 500000 en 1957.

Les rappelés livrés à eux-mêmes

Les rappelés se battaient sans soutien des syndicats, ni des partis. De ce fait, une fois l'explosion de colère passée, ils ne savaient pas quoi faire de plus. Certes, il se trouva nombre de militants ouvriers, de syndicalistes, de militants du Parti Communiste pour initier ces mouvements, et même pour les organiser. Mais ces militants étaient aussi livrés à eux-mêmes.

Ne parlons pas du Parti Socialiste qui était au pouvoir et dont le dirigeant, Guy Mollet, avait pris l'initiative d'intensifier la guerre. Mais le PCF, qui condamnait la guerre en parole, dans les colonnes de l'Humanité, n'entreprit rien pour gêner le gouvernement. Son vote des pouvoirs spéciaux à Guy Mollet, que le PCF justifia par la nécessité de préserver l'unité entre ouvriers communistes et socialistes, signifiait clairement qu'il comptait lui laisser carte blanche pour faire la guerre. En fait, le Parti Communiste voulait se préserver des chances pour gouverner à nouveau avec les socialistes.

Même sa propagande était limitée. Le PCF réclamait la «paix en Algérie», des «négociations pour un cessez-le-feu» et dénonçait la répression. L'Algérie était une «nation en formation». Il parlait du «fait national algérien». En un mot, il ne prenait pas clairement position pour l'indépendance immédiate et sans condition de l'Algérie. Le Parti Communiste ne chercha pas à appuyer les manifestations, à les coordonner, à donner des perspectives concrètes à tous ces militants qui tentaient de réagir comme ils le pouvaient. Ce faisant, il écoeura nombre de militants ouvriers français, parmi les rappelés en particulier, qui se sentaient à juste titre «lâchés».

Au plus fort des manifestations des rappelés, on pouvait lire dans l'Humanité daté du 30 mai 1956: «Ce qu'il faut faire? On l'entend journellement dans les gares, on le lit sur les murs: c'est négocier avec ceux qui peuvent faire taire les armes, avec ceux contre qui on se bat. Dans les jours à venir, des millions de Français s'emploieront à le faire savoir aux députés.» Voilà tout ce que proposait le PCF, l'organisation de délégations auprès de députés qui soutenaient Guy Mollet dans sa politique de répression!

Le Parti Communiste fit encore moins appel au reste de la classe ouvrière, qui seule pouvait paralyser l'effort de guerre. Là encore, il laissait les militants livrés à eux-mêmes.

Le PCF ne prit pas non plus d'initiatives en ce qui concernait la solidarité avec les travailleurs algériens en France, ou pour défendre les militants algériens contre la répression. Il laissa les travailleurs algériens réagir seuls, sans soutien des travailleurs français, contribuant à creuser le fossé entre travailleurs algériens et travailleurs français. Ce fut le cas le 5juillet 1956, lorsque les travailleurs algériens furent appelés à faire une journée de grève générale en Algérie et en France. L'Humanité en fit le compte rendu: 3000 ouvriers algériens en grève à Renault, 1100 chez Panhard, également à Citroën, à Chausson. La liste était longue, mais le PCF n'avait pas appelé les travailleurs français à les rejoindre dans cette grève. L'attitude générale de la CGT, liée au PCF, fut identique.

Le PCF, comme la CGT, ne firent vraiment rien pour tenter d'arrêter cette guerre coloniale. En s'appuyant sur cette mobilisation des mois de mai et juin 1956, il aurait pourtant peut-être été possible d'y parvenir. L'immense majorité des rappelés voulait simplement ne pas partir. Mais, avec le soutien du reste de la classe ouvrière, il y avait peut-être une possibilité d'empêcher l'impérialisme français de mener à bien la répression contre le peuple algérien. En tout cas, même si cette tentative n'avait pas été couronnée de succès, cela aurait au moins permis que les travailleurs algériens n'aient pas le sentiment de ne rien avoir à attendre de la classe ouvrière française.

Les grandes organisations se réclamant de la classe ouvrière se firent de fait les complices de l'impérialisme français.

                         Aline RETESSE (Lutte ouvrière, 20 avril 2006, n°1968)

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