mardi 2 août 2016

Adama Traoré : on commence à en savoir un peu plus grâce au travail de journalistes



Des journalistes enquêtent

Zones d’ombre, c’est le moins que l’on puisse dire

Extraits de l’article d’hier du journal Le Monde intitulé « Mort d’Adama Traoré : des zones d’ombre persistent »

« Un « syndrome asphyxique aspécifique ». Derrière une expression un peu barbare aux yeux du néophyte, la mort d’Adama Traoré a certainement trouvé son origine. L’homme de 24 ans, mort le 19 juillet à Beaumont-sur-Oise (Val-d’Oise), lors de son interpellation par des gendarmes, a manqué d’oxygène. C’est ce que constatent les rapports des deux autopsies faites les 21 et 26 juillet et que Le Monde a pu consulter. Ces rapports ne disent cependant pas ce qui a provoqué l’asphyxie.
         Adama Traoré a-t-il manqué d’oxygène parce qu’il souffrait d’une pathologie cardiaque ? A-t-il manqué d’oxygène parce que trois gendarmes l’ont plaqué au sol, en usant d’une technique dangereuse ? Est-ce la conjonction de sa maladie et de son immobilisation qui a précipité sa mort ?»
         Pour Lassana Traoré, l’un des frères du jeune homme, les zones d’ombre sont trop nombreuses : « On est prêt à tout entendre à partir du moment où on nous dit la vérité. Mais alors que, dès la première autopsie, il est question d’asphyxie, le procureur n’en a jamais parlé. Pourquoi ? »
« …Le 21 juillet, le procureur déclarait ainsi à l’Agence France-Presse (AFP) qu’Adama Traoré « avait une infection très grave », « touchant plusieurs organes » ; il précisait que l’autopsie n’a pas relevé de « trace de violence significative ».
         Il n’est alors pas question d’asphyxie, bien que le médecin légiste en fasse état. Son rapport signale aussi « des lésions d’allure infectieuse » au niveau du foie et des poumons, mais rien quant à leur supposée gravité. Au contraire, le médecin explique prudemment que des analyses supplémentaires sont « souhaitables ».
Surtout, le procureur ne fait une fois de plus pas état « des manifestations asphyxiques » pourtant détaillées dans la seconde autopsie.
         Comment expliquer cette communication sélective ? « J’ai fait état des éléments saillants des différents comptes rendus, se justifie M. Jannier au Monde...
         M. Jannier insiste : « Je ne sais pas si l’asphyxie est la cause de la mort, tout ceci est assez fragmentaire. Si on avait une conclusion précise, on la communiquerait. »
         Un sous-officier présent explique que le jeune homme « résiste à son interpellation ». « Nous contrôlons avec le poids de notre corps l’homme afin de l’immobiliser », dit-il aussi. Un autre gendarme présent corrobore cette déclaration : « Il a commencé à se débattre et je lui ai fait une petite torsion de sa cheville gauche. Il a commencé à nous dire qu’il avait du mal à respirer. On se trouvait à trois dessus pour le maîtriser. » Ce même gendarme précise : « J’étais sur ses jambes. Mes deux autres collègues contrôlaient chacun un bras ». Cette technique correspond à un plaquage ventral. Dans un rapport paru en mars 2016, l’ONG française de défense des droits de l’homme Action des chrétiens pour l’abolition de la torture (ACAT) appelle à son interdiction car elle « entrave fortement les mouvements respiratoires et peut provoquer une asphyxie », un risque accentué par l’agitation dont peut faire preuve la personne interpellée lorsqu’elle suffoque et que les personnes renforcent la pression exercée sur elle. D’après l’ACAT, plusieurs morts ont été provoquées ces dernières années par cette technique.
         Tel que le rapporte le sous-officier présent ce jour-là, Adama Traoré a bien signalé « avoir des difficultés à respirer ». Mais, au lieu d’appeler les secours, les trois gendarmes embarquent le jeune homme dans leur voiture et le conduisent à la gendarmerie, toute proche, pour « lui signifier sa garde à vue ». En y arrivant, Adama Traoré « s’assoupit et a comme une perte de connaissance », déclare un des gendarmes. « Quand on l’a sorti du véhicule, il était inconscient », confirme son collègue, qui explique aussi que, craignant qu’il simule, ils l’ont laissé menotté. Les secours sont dépêchés sur place, en vain. Le décès est déclaré peu après 19 heures.

    Julia Pascual
    Journaliste au Monde

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